Jenifael se matérialisa dans l’antre de la sorcière. Elle se rattrapa tant bien que mal sur le bord de la table, le souffle coupé et la sueur sur son front. De sa main gauche, elle essuya le mince filet de sang qui coulait sur son menton :

_ Foutues bestioles, murmura-t-elle.

Malgré ses courbatures, elle se redressa pour reprendre son souffle. En quittant Gloredhel, elle avait fait une incursion dans le Royaume Sombre, attirée par une force inconnue. D’étranges mouvements étaient en marche sur ces terres et l’elfe craignait une invasion imminente. Chose qu’elle considérait comme de trop en plus de tout ce qu’il passait à Kleryana. Seulement, elle s’était rapidement faite repérée dans les couloirs d’une forteresse militaire, celle du conseiller de l’empereur sombre, Arhtaziorkh. Ses pouvoirs ne l’avaient pas vraiment aidé, car une étrange pierre bleue lui refusait accès à ses dons. Jenifael n’arrivait pas à expliquer ce problème et était très préoccupée par cette nouvelle menace, car si les Uruloki avaient trouvé le moyens de mettre un terme aux pouvoirs magiques, la guerre serait perdue d’avance. Sauf si les huit reliques étaient assemblées… L’elfe chassa cette idée de son esprit ; les ordres de Jaoven avaient été plus que clairs à ce sujet. A cet instant, la jeune femme regretta plus que tout la mort du monarque qu’elle appréciait tant. Lui aurait su quoi faire dans ces moments critiques et aurait trouvé le moyen de relever Kleryana de ce bourbier infernal.
Jenifael regarda son bras droit et vit que sa manche était déchirée en un trait fin et net ; la lame de l’épée adverse n’était pas passée loin. Là aussi, un mince filet de sang s’en échappait, mais rien de grave. L’elfe avait réussie à se défendre comme elle l’avait apprit chez les mortels, sans utiliser sa magie. Et pourtant, le conseiller l’avait rapidement mise en déroute avant qu’elle n’arrive à se dématérialiser. Les informations qu’elle avait rapportées étaient restreintes, mais pourraient tout de même servir. Un mot lui revenait en tête constamment ; Rhavane. Persuadée d’avoir déjà entendue ce prénom, Jenifael se tortura l’esprit une fois de plus.

_ Et si tu prenais le temps de te reposer un peu ?

La voix sombre s’était élevée parmi les fioles, les bouteilles et les plantes étranges qui régnaient dans cet endroit. La sorcière avait observée le retour de l’elfe et se délectait se ses pensées. Jenifael esquissa un sourire et s’approcha de celle qui lui avait tout apprit. Elle se laissa tomber dans un fauteuil à ses côtés en soupirant. Nessa fit apparaître une bassine d’eau fraîche, et la femme chevalier put se nettoyer le visage. Le contact de l’eau sur sa peau lui fit le plus grand bien. Pendant ce temps, la sorcière referma les plaies du combat en un simple geste de la main. Jenifael était habituée à ce genre de comportement et se laissait faire avec grand plaisir. Une fois cela fait, la bassine d’eau disparue et les deux femmes s’installèrent pour discuter. Dehors, le vent et la neige balayaient ensemble les montagnes abandonnées. L’endroit n’était plus sous autorité royale depuis que Nessa s’y était installée il y a des décennies.

_ Je vois que les nouvelles ne sont pas bonnes pour Kleryana.

_ Non, et je suis tiraillée entre prévenir le roi et ne rien dire.

_ Mais il y a le peuple…

_ Oui, je sais et je ne peux me permettre de laisser sans aide face à cela. Ce qui est bénéfique, c’est qu’ils seront prêts assez vite et comme leur cerveau est plus lent que le notre, je pense que nous avons encore quelques mois devant nous. Le temps d’organiser la défense.

Nessa laissa apparaître un sourire sur lèvres. Rares étaient ces moments. Elle avait une grande nouvelle pour la princesse, mais qui ne lui offrirait aucun plaisir. Jenifael tourna la tête brusquement dans la direction de la sorcière et put lire dans ses pensées. Elle se leva, prise d’une colère sans nom.

_ NON ! Il ne peut avancer ce mariage !

_ Et pourtant, le roi vient d’annoncer qu’il serait célébré dans une semaine.

Jenifael tapa son poing sur la table, faisant trembler les nombreuses fioles. Un chat se sauva en courant, fuyant la colère de l’elfe. Il était beaucoup trop tôt, la moitié de ses projets n’étaient pas réalisés ou mit en marche. Il lui fallait plus de temps, et pourtant, elle savait que le roi ne changerait pas d’avis. Même si le statut officiel de princesse du royaume pourrait lui être favorable, elle savait que la vie qui l’attendait serait comparable à une prison, bien plus petite que celle dans laquelle elle se trouvait déjà. Mais il y avait autre chose ; Hadrian. Ce mariage signifiait aussi que l’enchantement serait levé et que rien ne pourra y remédier. Jenifael tourna la tête vers Nessa, la suppliant du regard de prolonger cette malédiction. La sorcière éclata de rire, et répondit de son éternelle voix grave et froide :

_ Ma chérie, tu sais autant que moi que ce n’est pas moi qui ait décidé de cet enchantement, et rien ne pourra t’aider. Ce sont les dieux qui ont décidés de cet arrangement. Hadrian est comme son père et rien ne pourra le faire changer. Tu as cru qu’il pourrait être différent, et tu t’es trompé. Une fois marié, l’enchantement prendra fin et Hadrian deviendra un roi tyrannique qui causera la perte de Kleryana. Ce qu’il faut éviter, c’est qu’il retrouve Rhavane.

Jenifael plongea son regard dans celui de son mentor. Encore ce prénom, mais aucun visage ni aucun souvenir ne lui vint en tête. Sauf un…

_ Qui est Rhavane ?

_ Tu le sais princesse.

L’elfe se mordit la lèvre et baissa la tête. Oui elle le savait et mieux que quiconque puisqu’elle était directement liée à cette personne. Bien qu’elle en fût consciente, elle n’arrivait pas à l’accepter.

_ Ma mort, souffla-t-elle.

_ Exactement, et tu sais aussi que tu ne pourras échapper à ce destin.

Un sourire mélancolique apparut sur les lèvres de la femme chevalier. Son destin. Elle voulait que tous ses projets soient menés à bout avant sa mort, qui avait subitement été avancée dans le temps. Et pourtant, au fond d’elle cet acte était un accomplissement et une fin en soit. La libération d’une vie plus que remplie mais tellement ennuyeuse à la fois. Jenifael se demanda si elle aurait encore eut la force de se battre contre son éternité. Kleryana était sur un déclin qui ne prendrait fin que dans l’obscurité, loin de la bienveillance des dieux. Que pouvait-elle donc bien faire face à la volonté des dieux ? Nessa arqua un sourcil, et l’elfe répondit avant qu’elle ne lui pose une question :

_ Alors soit, si la mort peut me libérer de mes démons, alors je l’attends.

Fatiguée, la femme chevalier devait encore rentrer à Elbereth. Elle fit un signe de tête à son mentor et se dématérialisa, sans voir le sourire de Nessa.



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